La transmission du patrimoine rural constitue un enjeu majeur pour le maintien et le développement des exploitations agricoles françaises. Dans ce contexte, la loi de finances 2025 publiée le 14 février 2025 a considérablement renforcé le dispositif d'exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit applicable aux biens ruraux loués par bail à long terme. Cette mesure fiscale favorable vise à faciliter la transmission des exploitations agricoles tout en garantissant leur pérennité. Les modifications apportées aux seuils d'exonération et aux conditions d'engagement représentent une avancée significative pour le secteur agricole et la préservation du foncier agricole.
Avant la réforme introduite par la loi de finances 2025, le Code général des impôts (CGI) prévoyait déjà un régime favorable pour les transmissions à titre gratuit intervenant dans le cadre d'un bail rural à long terme. Ce dispositif, codifié aux articles 793 et 793 bis du CGI, concernait tant les biens ruraux donnés à bail que les parts de GFA (Groupement Foncier Agricole).
L'administration fiscale appliquait une exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit selon les modalités suivantes :
Pour bénéficier de cette exonération partielle, plusieurs conditions devaient être respectées :
Pour les parts de GFA, l'exonération n'était applicable qu'aux groupements dont les statuts interdisaient l'exploitation en faire-valoir direct, et les fonds agricoles constituant le patrimoine devaient avoir été donnés à bail à long terme ou à bail cessible.
L'article 70 de la loi de finances pour 2025 du 14 février 2025 a considérablement relevé les plafonds d'application de l'exonération à 75%. Ce relèvement concerne tant les biens ruraux donnés à bail à long terme que les parts de GFA correspondant à de tels biens.
Désormais, le dispositif d'exonération partielle s'applique comme suit :
Cette mesure représente une avancée considérable, en particulier pour les transmissions d'exploitations agricoles de taille importante, dont la valeur vénale dépasse fréquemment le million d'euros.
Il permettra notamment à certains domaines viticoles dont la valorisation des vignes dépasse le million d'euros par hectare de pouvoir transmettre un domaine dans le cadre familial sans être obligé de le vendre pour faire face aux droits de transmission qui pouvaient représenter des montants très élevés.
La durée de l'engagement de conservation conditionne désormais le niveau de l'exonération. Pour bénéficier du nouveau plafond exceptionnel de 20 millions d'euros, les donataires ou héritiers doivent s'engager à conserver les biens pendant une durée de 18 ans. Cette disposition vise à garantir la stabilité à long terme des exploitations et à éviter les cessions spéculatives.
Un communiqué de presse du 1er avril 2025 émis par le gouvernement a d'ailleurs apporté des précisions sur l'application de ce dispositif issu de la loi de finances pour 2025, notamment concernant l'exonération partielle de DMTG visée à l'article 793 bis du CGI.
Alors que la Loi prévoit que cette nouvelles dispositions s’applique aux baux souscrit à compter du 1er janvier 2025, le communiqué de presse prévoit que les nouveaux seuils d’exonération pourront s’appliquer pour tous les baux à long terme quelque soit leur date de signature.
Il faudra toutefois attendre l’adoption de la Loi de Finances 2026 qui devrait contenir un article spécifique pour en être certain.
Prenons l'exemple d'une transmission par décès à deux enfants, intervenant le 4 janvier 2026, d'une exploitation agricole louée par bail à long terme d'une valeur totale de 1 600 000 €. Le bail a été conclu le 15 février 2025. En l'absence de donation antérieure, la part de chaque enfant s'élève à 800 000 €.
Dans ce cas, si les héritiers s'engagent à conserver les biens pendant 5 ans, l'exonération s'appliquera comme suit :
En revanche, si les héritiers s'engagent à conserver les biens pendant 18 ans, l'exonération de 75% s'appliquera sur l'intégralité de leur part (800 000 €), soit une exonération totale de 600 000 € par enfant et une fraction taxable réduite à 200 000 €.
Le dispositif s'applique également aux parts de groupement foncier agricole, mais pas autres types de sociétés agricoles, dans la proportion correspondant aux biens ruraux donnés à bail à long terme ou à bail cessible. Pour en bénéficier, les statuts du GFA doivent interdire l'exploitation en faire-valoir direct, condition expressément prévue par l'article 793 du CGI.
Il convient de noter que cette exonération partielle est cumulative avec l'abattement applicable en cas de démembrement de propriété (usufruit/nue-propriété). Cette possibilité de cumul ouvre des perspectives intéressantes en matière d'optimisation fiscale pour les transmissions de patrimoine rural.
Par ailleurs, les baux ruraux à long terme présentent également d'autres avantages fiscaux, notamment en matière d'impôt sur la fortune immobilière (IFI). En effet, les biens ruraux loués par bail à long terme bénéficient d'une exonération partielle au titre de l'IFI, sous certaines conditions.
Cette réforme s'inscrit dans une politique globale de soutien à la transmission des exploitations agricoles et à l'installation des jeunes agriculteurs. En allégeant la fiscalité applicable aux mutations à titre gratuit, le législateur entend favoriser la conservation des patrimoines agricoles au sein des familles et faciliter la reprise des exploitations.
Le relèvement significatif du plafond à 20 millions d'euros pour les engagements de conservation de 18 ans devrait notamment permettre de préserver l'intégrité des grandes exploitations agricoles, souvent morcelées lors des successions en raison de la charge fiscale.
Pour bénéficier de cette exonération partielle, les donataires ou héritiers doivent expressément s'engager à conserver les biens pendant la durée requise (5 ou 18 ans selon le niveau d'exonération souhaité). Cet engagement doit être formalisé dans la déclaration de succession ou l'acte de donation.
Il est vivement recommandé de consulter un notaire spécialisé en droit rural pour s'assurer du respect des conditions d'application du dispositif. En effet, le non-respect de l'engagement de conservation entraîne la remise en cause de l'exonération et la réintégration des droits normalement dus, majorés d'un intérêt de retard.
Lorsque le donataire a la qualité de preneur des biens loués à long terme, le bénéfice de l'exonération partielle est soumis à la condition que le bail lui ait été consenti depuis au moins deux ans au moment de la donation. Cette condition d'antériorité du bail n'est toutefois pas exigée en cas de transmission par décès.
Le renforcement du dispositif d'exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit sur les biens ruraux loués par bail à long terme constitue une mesure fiscale particulièrement favorable pour le monde agricole. En relevant substantiellement les seuils d'application de l'exonération à 75% (600 000 € pour un engagement de 5 ans et jusqu'à 20 millions d'euros pour un engagement de 18 ans), la loi de finances 2025 favorise la transmission intergénérationnelle des exploitations agricoles.
Cette réforme s'inscrit dans une politique plus large de soutien au secteur agricole, qui comprend également des dispositifs favorables à la rénovation énergétique des biens immobiliers et des mesures spécifiques pour accompagner le départ à la retraite des exploitants agricoles.
Pour les propriétaires de biens ruraux et de parts de GFA, il est désormais essentiel d'anticiper les transmissions à titre gratuit en tenant compte de ces nouvelles dispositions, afin d'optimiser la fiscalité applicable et de garantir la pérennité des exploitations agricoles familiales.